Vitrail

Le philosophe Alain écrit, à propos du vitrail :
« C’est la peinture la plus éclatante et qui retrouve presque cette pure couleur des pierres précieuses, dont Goethe ne se lassait pas. C’est la peinture qui participe le plus directement du brillant de la lumière cosmique ; c’est la seule qui colore aussi les autres choses, en mêlant à elles sa propre image. »
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Il y en avait un qui était un haut compartiment divisé en une centaine de petits vitraux rectangulaires où dominait le bleu, comme un grand jeu de cartes pareil à ceux qui devaient distraire le roi Charles VI ; mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regard en bougeant eût promené à travers la verrière, tour à tour éteinte et rallumée, un mouvant et précieux incendie, l’instant d’après elle avait pris l’éclat changeant d’une traîne de paon, puis elle tremblait et ondulait en une pluie flamboyante et fantastique qui dégouttait du haut de la voûte sombre et rocheuse, le long des parois humides, comme si c’était dans la nef de quelque grotte irisée de sinueuses stalactites que je suivais mes parents, qui portaient leur paroissien ; un instant après, les petits vitraux en losange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible dureté des saphirs qui eussent été juxtaposés sur quelque immense pectoral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes ces richesses, un sourire momentané de soleil ; il était aussi reconnaissable dans le flot bleu et doux dont il baignait les pierreries que sur le pavé de la place ou la paille du marché ; et, même à nos premiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il me consolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir, comme en un printemps historique et qui datait des successeurs de Saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre.

Marcel Proust